Souvent je me demande: qu’est-ce que le bonheur ? Cette recherche humaine si utopique… Nous nous servons parfois trop de nos cerveaux, nous conceptualisons tout alors que parfois il suffit de se laisser porter et de laisser entrer en nous cette vague de sentiments qui nous réchauffent le cœur. Que cela dure un instant, une soirée ou le temps d’une vie… Nous aimons nous compliquer la vie et la recherche de réponses devient chronophage en nous éloignant des choses importantes. J’aime le concept d’Amor Fati… L’Amour de la Destinée cher à Nietzsche, celui qui correspond à savoir vivre le moment présent qu’il nous soit agréable ou non. Ce serait le secret de la sagesse : savoir d’où l’on vient en acceptant le passé qui nous a forgé tout en refusant de n’être que dans ce temps vécu synonyme de joie ou de regrets et savoir où l’on va sans attendre avec fébrilité un futur incertain que l’on croit meilleur que ce que l’on a aujourd’hui… Amor Fati, c’est l’acceptation de son soi passé en façonnant son soi futur grâce au présent car au final, c’est bien ce moment présent qui est important. C’est celui que l’on vit pleinement, qui n’est qu’une multitude de micro-secondes successives…
Alors le bonheur, c’est quoi ? C’est accepter que l’on a aucun pouvoir sauf celui de vivre son moment d’éternité. Je crois avoir déjà connu ce moment, j’espère que vous aussi mais je n’ai pas de doute. Ces moments étaient des rencontres…
‘Le bonheur, c’est marcher dans la nature à la rencontre de ses rêves’
Quand l’une de ces rencontres avec le vin se produit, il y a comme un flottement… Nous sommes tellement habitués à aller vite, à tout bousculer que même lorsque l’on est à table avec des amis, un bon repas et une bonne bouteille de vin, le temps file. J’aime prendre le temps de déguster, la qualité avant la quantité… Un verre de vin contre une bouteille… Une minute contre une seconde… Hier, j’ai fait une rencontre avec un vin, un goût. J’ai passé un moment suspendu où tout s’imbriquait à la perfection. L’ambiance du repas était fort agréable. Le lieu était convivial dans une propriété chez un ami: la table était dressée dans le grand hall où, d’un côté, nous avions vue sur le chai à barriques et, de l’autre, nous pouvions admirer le cuvier. Les lustres éclairaient la grande salle et la simplicité du moment en a fait toute sa beauté. Des amis étaient là, un frère à ma gauche… Les rires étaient tels un océan, revenant par vagues successives sans interruption. Il faisait nuit et nous étions heureux de nous revoir, de nous taquiner. En tant qu’esthètes, l’objectif était de profiter.
Sur la grande tablée, se trouvait un vin d’exception. Rouge éclatant tel le rubis d’un Maharadja. La bouteille qui fait voyager, la rencontre que j’attendais sans vraiment la suspecter. C’est mon vin préféré, celui qui m’émeut, qui perce ma carapace et qui coule en moi comme une potion guérissante, pansant les plaies de mon âme. C’est le vin qui est un fluide entre les cœurs et qui nous rapproche car, en parlant de lui, nous nous donnons aux autres. C’est un bijou liquide qui s’échappe de son écrin et qui éblouit notre esprit. La potion d’un magicien qui a réussi l’alchimie du plaisir et du fruit. C’est l’huile que l’on jette sur notre feu intérieur éteint afin de rallumer la flamme. Alors j’ai juste eu le temps de le faire tournoyer dans mon verre et d’humer un peu les arômes qui s’échappaient… Et là, j’ai percé un secret, comme disait Dali, il m’a murmuré à l’oreille des sensations fruitées. Puissant et velouté, le vin s’est exprimé. Et voici la mûre accompagnée de la cerise juteuse… Et voici également le cuir souple et odorant… Voici plus loin la réglisse et la fraîcheur… Quel tourbillon d’arômes… En fait, c’est mon secret qu’il a percé!
Il fallait un mariage simple avec ce vin. Une rillette avec un bon pain de campagne: les meilleures choses sont les plus simples. De toute cette soirée, je vous avoue n’avoir bu de ce nectar qu’un verre alors que trois bouteilles dansaient sur la table. Quelle folie ? Mais la quantité de vin est-elle exponentielle au plaisir ? J’avais décidé de ne pas être matérialiste et de profiter du moment présent, de cette rencontre si unique. J’avais l’intention de déguster, de siroter ce cru et je l’ai fait, sans regrets et sans remords. Dans ma bulle, j’ai mis ce sang de vigne dans ma bouche et je suis repartie pour un tour de valse… Il y avait de l’émotion dans ce verre, de l’équilibre et de la sagesse. Dans ce court instant, j’ai su apprécier et visualiser chaque centimètre parcouru de la vigne au verre. Et j’ai surtout bu cette impression incroyable d’avoir entre les mains un sentiment matérialisé: celui de la joie. N’est-ce pas cela, le plus magnifique avec le vin: le fait qu’il fasse appel à nos cinq sens et surtout au sixième, notre émotivité ? Il était temps de passer au plat principal qui se composait d’une viande rouge et d’un gratin dauphinois. L’excuse parfaite pour regoûter le vin. Et le temps coulait, coulait, coulait…
Velours, où t’étais-tu caché ? Derrière le fruit, je t’aperçois, tu enlaces le toasté et tu couvres délicatement mes lèvres. D’un geste proche de celui du baiser, je te propose un marché: laisse-moi te dire ce que je ressens pour que tu comprennes qui je suis. Avec des mots pour moi-même, je commençais à décrire ce vin en cachette: charnu, charpenté, soyeux, fougueux, ardent, long, intense, délicat, sensible, fragile… Je te vois, cavalier à la recherche de ton parfait destrier dans un haras oriental entre chaleur et parfums d’encens. Je te sens, confiture de grand-mère encore chaude qui mijote et embue les fenêtres de la cuisine. Je te touche, robe sublime de taffetas pour un bal où minuit pourra sonner sans peur. Je te prends par la main et je t’emmène avec moi marcher sous un clair de lune verlainien. Je te souris et je comprends que tu es éphémère car chaque gorgée m’éloigne de ma première sensation et me rapproche de moi-même… Car c’est une expérience avec soi que l’on vit lors d’une telle rencontre. C’est vivre un moment pour soi et personne ne peut vivre la même chose de la même manière. Le fait est que le résultat reste identique: on vient de faire une rencontre et il est temps de se quitter… Un rêve éveillé, de la poésie bue… Laisse-moi emporter le souvenir de quelques flaveurs, de quelques saveurs mais laisse-moi surtout l’émotion et l’imagination de te redessiner à chaque fois que l’envie m’en prendra.
Les grands noms font parfois les grandes bouteilles, mais ce n’est pas une règle d’or. Je vous laisse le soin de découvrir de quelle bouteille il s’agissait. Mais je suis sure que vous avez déjà vécu une telle rencontre avec un vin. Dans d’autres circonstances, un vin blanc peut être, avec des inconnus, au restaurant… Peu importe, c’est cette rencontre qui nous remet en place dans l’univers. Cette rencontre qui nous dit que peut être, ce jour là, on était plongé dans un océan de bonheur… Parce qu’être ému, c’est être vivant ! Et que peut être pour moi, le bonheur, c’est boire un verre de vin à la rencontre de mes rêves !
Merci à ceux qui ont contribué à ce moment d’éternité…