Le Terroir, cette notion si subjectivement universelle, est dans la tourmente. Certains prônent dur comme fer que le Terroir existe, qu’il est l’identité d’un vin. D’autres disent que c’est une invention des pays de l’Ancien monde notamment pour pallier à l’arrivée massive de la concurrence.
Il est vrai que je n’aime pas dire si un vin est bon ou mauvais, je vous laisse juge. Mais pour une fois, je vais prendre parti parce que pour moi, le terroir existe, ce n’est pas une invention mais plutôt une découverte. Je ne peux imaginer un vin sans cette identité si particulière qui fait de lui ce qu’il est. En France, on est très attaché à cette notion de terroir que l’on rapproche souvent à une notion d’appartenance. Le terroir, c’est un peu notre patriotisme terrien. On ne trouve d’ailleurs pas de traduction du terme terroir qui provient du latin populaire ‘terratorium’ et qui est un assemblage de ‘territorium’ et de ‘terra’ : territoire et terre.
Alors, le terroir c’est quoi ? Parce que c’est bien joli de dire que E=MC2 mais il faut aussi le prouver ! C’est ce que je vais tenter de faire dans cet article…
« Le vin est le fils du soleil et de la terre, mais il y a eu le travail comme accoucheur » Paul Claudel
Je me plais à dire que le terroir c’est la corrélation entre la terre, l’homme et Dieu… La terre est donc le territoire, l’homme est le vigneron et Dieu représente les éléments transcendantaux (météo par exemple)… Mais pour simplifier tout cela, on va dire plus sérieusement que le terroir c’est l’association de facteurs biologiques (la vigne), de facteurs humains (agronomie, viticulture, œnologie et histoire) et de facteurs naturels (géologie, pédologie, climatologie et géographie). Cette notion, ce sont Van Leeuwen et Seguin qui l’expliquent en 2006. Mais un grand terroir, c’est quoi ? Et bien on peut dire qu’un grand terroir est l’optimisation des interactions des 3 facteurs !
– Le facteur humain. Comme le dit si bien Claudel dans la citation ci-dessus, l’homme est l’accoucheur… Il est celui qui a dompté la vigne… Car il ne faut pas se leurrer, cette liane n’est destinée qu’à nourrir les oiseaux et à grimper vers le ciel pour trouver le soleil. L’homme a façonné la vigne mais aussi le sol pour que les deux s’épanouissent. L’homme est aussi celui qui a choisi, à l’époque, de s’installer près de cours d’eau afin de faciliter le transport de son vin. L’homme c’est celui qui a inventé des machines pour le travail des champs et dans le chai. Lors de la Révolution Industrielle il a su améliorer ces machines, les mécaniser. L’homme c’est celui qui a fait évoluer les méthodes de vinification qui permettent aujourd’hui d’avoir des vins stables et de bonne qualité puisque les fermentations ont été menées tambour battant jusqu’au bout. Bref, l’homme est un paramètre non négligeable du terroir car chaque individu a sa propre conception de la viticulture : chaque vin est le travail de cet homme, c’est son enfant donc forcément il lui ressemble.
– Le facteur biologique. Il existe plus de 1000 variétés de vignes au monde mais seulement une petite centaine est capable de produire des vins de qualité. Le cépage est synonyme de typicité et il est forcément associé au climat sans lequel il n’a plus aucun sens. En effet, chaque cépage a ses singularités : celui-ci aimera les climats frais sur des sols calcaires alors que celui-là préférera des climats tempérés sur des graves… Le facteur climat pourrait presque être associé au final au biologique alors je vais en parler ici pour que ce soit plus clair. Le climat est la corrélation entre la quantité de précipitation, le nombre d’heure d’ensoleillement et la température. Ce climat donne accès à une notion extrêmement importante en œnologie qui est la maturité. En effet, c’est grâce à la maturité que la date des vendanges est décidée.
Il existe plusieurs types de maturités: la maturité phénologique (véraison) et la maturité viticole (l’arrêt de la croissance du feuillage) qui sont visibles dans le vignoble ; la maturité technologique (rapport entre sucres et acidité), la maturité phénollique (très importante puisqu’il s’agit des antocyanes et des tanins), la maturité pelicullaire (perméabilité, épaisseur de la peliculle) et la maturité aromatique (peliculle et pulpe) que l’on ne connaît qu’à partir d’une dégustation des baies.
– Enfin le facteur naturel. Le sol est très important, on le confond souvent d’ailleurs avec le terroir. Le sol englobe la géologie (science étudiant la roche et son histoire), la pédologie (science des sols, de leur formation et de leur évolution) et l’agronomie (science de l’agriculture). Un viticulteur se doit de connaître son sol par coeur. Pour cela il doit être conscient des différentes variables importantes dont il n’a pas la maîtrise et qui lui serviront pour choisir le cépage et son mode de viticulture. La température des sols est une première variable : les sols secs ou peu profonds sont des sols chauds par exemple. Il faudra y planter un cépage précoce. La nutrition minérale du sol est importante en fonction du type de vin que l’on produit : les vins blancs ont besoin d’avoir beaucoup d’azote pour être aromatique alors que pour faire des vins rouges de bonne qualité, l’alimentation en azote de la vigne doit être minime. Enfin, l’alimentation en eau est des plus importantes : le viticulteur choisira alors de faire de l’irrigation ou pas. La contrainte hydrique peut être une bonne chose pour certains cépages, mais pas pour le Sauvignon Blanc par exemple. Tous ces éléments doivent être pris en compte lors de la plantation de certains cépages et des porte-greffes.
« Le vin contient deux forces qui se confondent en une seule, une fois la fermentation terminée : en effet, la vigne dont les racines plongent à de très grandes profondeurs, tire la force magnétique de la terre pour la concentrer dans la grappe. Le soleil, lui, baigne les ceps de son immense force cosmique. Les deux forces s’accumulent jour après jour dans les grains, jusqu’au jour de la vendange. C’est là une autre traduction qui va directement à l’essence imagée des choses : le vin additionne les forces primaires des éléments premiers, terre, eau, air, feu.»
Marcel Scipion
Selon Denis Dubourdieu qui n’est plus à présenter, l’effet terroir serait la « capacité avérée d’un territoire à produire, grâce au savoir-faire humain, un vin possédant un goût typique, apprécié du marché qui en reconnaît durablement la singularité et la valeur ». Pour moi il s’agit plus de l’expression du terroir. C’est un peu la preuve par A+B que cette notion existe. Je vous l’accorde c’est encore totalement subjectif. Il vous convient d’y croire ou pas. Pour ma part, comme souligné dans l’introduction, j’y crois. Je dois admettre que supprimer cette notion de terroir me donne l’impression de ternir l’image du vin. Cette notion de terroir reste poétique, imagée, elle vous fait voyager. Mais pourtant, cette notion est bien réelle en même temps : les hommes, la plante et le ‘reste’. C’est donc son expression qui permet de la ressentir : Denis Dubourdieu dit bien qu’il s’agit d’une reconnaissance. Alors quoi de mieux pour moi que de vous parler des vins de Bordeaux en général, du goût de Bordeaux, pour ensuite plonger dans l’expression la plus pure de deux terroirs voisins de la Rive Droite : ceux de Pomerol et de St Emilion.
Le goût de Bordeaux
– Couleur ‘Bordeaux’ : il faut quand même souligner que dans la langue française, Bordeaux est synonyme de sa couleur. Ce n’est pas le seul vin au monde à avoir cette particularité, la couleur Bourgogne existe également (rouge foncé tirant sur le brun). La couleur Bordeaux peut être décrite comme rouge tirant sur le violet. Il y a bien une singularité forte visuelle.
– Aucune chaleur alcoolique
– Arômes complexes de fruits frais, rouge et noir, associés à des notes de rose épanouie
– Bouquet fumé ou truffé à l’évolution
– Tanins veloutés et frais à l’attaque
– Concentré et soyeux en finale
– Sucrosité sans le sucre
Voyons maintenant les caractéristiques de deux terroirs voisins :
Le goût de Pomerol
Pomerol c’est 735 hectares avec 190 déclarants. Avec 70% de Merlot et 30% de Bouchet (Cabernet Franc), c’est une appellation (créée en 1936) qui n’est plus à présenter. Le cœur de Pomerol est un plateau argileux avec des graves. Ce plateau est encerclé par une ceinture graveleuse et on peut trouver aussi quelques parcelles de graves et de sables plus ou moins limoneux.
Les vins de Pomerol, l’expression du terroir, ont une robe en général sombre et profonde sur le pourpre. Le nez est un bouquet puissant et complexe, chaleureux avec des notes de truffe, de cassis, de framboise, de crème fraîche et d’amande grillée. L’attaque est particulièrement harmonieuse, ronde et souple. L’évolution est charnue et dense. La structure est tannique (la plus tannique de Bordeaux) avec des touches de cassis, de truffe, de grains rôtis et même de viandé en finale.
Le goût de Saint Emilion
Saint Emilion se trouve à côté de Pomerol et représente 5150 hectares avec 971 déclarants. Avec, contrairement à son voisin, 3 cépages (Merlot, Cabernet Franc mais aussi Cabernet Sauvignon pour 10% de l’encépagement), les sols de St Emilion sont extrêmement variés et si certaines parcelles ne donnaient pas naissance à de Grands Crus, jamais elles n’auraient fait parties de l’appellation. Saint Emilion se trouve sur un plateau calcaire, argilo-calcaire même dans le cœur de Saint Emilion ainsi qu’à l’est et au nord. Au nord ouest, les sols sont des graves silicieuses ou argilieuses. Il y a aussi des parcelles composées d’alluvions silicieuses avec des petites graves plus ou moins sableuses.
Les vins de Saint Emilion, côté argilo-calcaire, ont une couleur moyennement intense sur le rubis pourpre s’il y a beaucoup d’argile ou sur le vermillon s’il y a plus de calcaire. Le nez est vif et subtil, fleuri. S’il y a du calcaire on aura même des notes terreuses non désagréables. La bouche est structurée avec des tannins légers. Souvent longilignes, les vins de Saint Emilion peuvent paraître austères dans la jeunesse. Mais fins et élégants, ces vins sont l’expression même du fruit avec des touches végétales évoluant sur la réglisse ou la menthe durant leur vieillesse.