Vous avez entendu parlé de cette petite bête ? Ce puceron ravageur de vigne qui a détruit le vignoble bordelais et bien plus au XIX° siècle ? Et oui, il s’agit du Phylloxéra…
« Le voisin est un animal nuisible assez proche de l’homme » Pierre Desproges
Tout commence à cause de la curiosité de certains pépiniéristes français qui profitent du libre-échange pour faire venir des Etats-Unis de nouvelles plantes. Dans les serres, une étrange maladie détruit les plants de vigne… La première source d’infection est déclarée en 1863 dans le Gard et va s’étendre comme une tache d’huile en France : 1865 dans les Bouches-du-Rhône, 1866 à Floirac en Gironde, 1876 à Orléans, 1894 en Champagne… Mais aussi en Europe et dans le monde entier : 1863 à Londres, 1865 au Portugal dans la vallée du Douro, 1871 en Suisse, 1874 en Allemagne à Bonn, 1875 en Autriche et en Australie, 1879 en Italie près de Côme, 1880 en Afrique du Sud, 1885 en Algérie, 1888 au Pérou… Bref c’est l’invasion !
Vous allez me dire que c’est bien joli tout ça, mais le Phylloxéra c’est quoi ? Et surtout quelles sont les conséquences ?
Il existe deux types de Phylloxéra : le phylloxéra radicicole qui s’attaque aux racines et qui mène à la mort de la vigne et le phylloxéra gallicole qui touche les feuilles mais qui n’est pas mortel. Voilà donc la conséquence principale de ce puceron ravageur : la mort de la vigne en 3 ans. C’est ce qui s’est passé à Bordeaux notamment. Mais pourquoi ce célèbre vignoble a-t’il été détruit ? Tout simplement parce qu’il n’y avait aucun moyen de lutte connu !
Jules Emile Planchon va en 1868 décrire avec précision le puceron et le nommer Rhizaphis Vastatrix, ignorant qu’aux USA le puceron avait déjà été reconnu. Le Dr Signoret, entomologiste parisien à qui Planchon avait envoyé des échantillons, va pouvoir le placer dans la famille Phylloxéra. Originaire de l’est des Etats-Unis, l’Europe et Bordeaux mettront 30 ans pour combattre cette invasion. Il faut dire qu’à l’époque, c’est la crise viticole : le phylloxéra n’est pas le seul nuisible que l’on trouve dans la vigne, il y a aussi de mildiou et l’oïdium (ce sont des champignons, des maladies dites cryptogamiques).
Le phylloxéra a un cycle de reproduction annuel : les mâles et les femelles s’accouplent en été. Un seul oeuf sera pondu sur les souches : on l’appelle ‘l’oeuf d’hiver’. L’oeuf va éclore au début du printemps et est toujours une femelle ! Cette femelle va descendre dans les racines et devenir un phylloxéra radicicole ou va migrer sur les feuilles et par conséquent devenir un phylloxéra gallicole. Mais le cycle n’est pas terminé : ces femelles vont pondre, dès qu’elles deviendront adultes, 40 à 100 oeufs sans fécondation. Tous ces oeufs sont encore des femelles !! En été les femelles vont muer et se transformer en nymphes : les phylloxéras ailés pondent encore une fois des oeufs mais mâles et femelles. Ces derniers vont vivre le temps de s’accoupler et de pondre l’oeuf d’hiver… Le cycle alors se reproduit. On comprend pourquoi le phylloxéra s’est propagé comme une traînée de poudre !
Qu’a-t’il fallu faire pour lutter contre le phylloxéra à Bordeaux ?
Ayant beaucoup d’imagination, les viticulteurs bordelais vont essayer de nombreux traitements pour faire disparaître le phylloxéra. Ils ont notamment mis du gaz moutarde dans les vignes, ont badigeonné les souches pour détruire l’oeuf d’hiver avec un mélange de chaux, de naphtalène et d’eau, ont injecté dans le sol du sulfure de carbone liquide très volatil, ont tenté de noyer les vignobles car le phylloxéra déteste l’eau (très efficace mais malheureusement à Bordeaux les terres submersibles ne sont pas celles sur lesquelles se trouvent de grandes propriétés)… Bref, beaucoup d’idées mais peu de résultats.
Pourtant la solution est venue naturellement : le retour aux sources. En effet, aux USA les vignes ne sont pas attaquées par le phylloxéra. La solution est donc dans la vigne ? Il faudrait alors planter des non vitis vinifera (c’est à dire des vignes non européennes) pour endiguer l’épidémie ? C’est en effet, la solution qu’a choisi Bordeaux : des pieds de non vitis ont été planté, les vignes vitis quant à elles ont été brûlées. Mais un problème se pose : les non vitis ne font pas du vin de la même qualité que les vitis. Il faudra alors attendre plus de 30 ans et passer par les hybrides et la greffe pour qu’aujourd’hui on fasse du clonage (sélection massale ou autre).
Il est rare en France de trouver des vignes qui datent de l’époque du phylloxéra… La vigne de Sarragachies aurait 200 ans et a été classée monument historique en 2012 (c’est la première vigne à recevoir ce titre). Et en Champagne, la Maison Bollinger a conservé une parcelle de Pinot Noir plantée de franc de pieds.
Aujourd’hui le phylloxéra est toujours présent dans la vigne mais n’est plus l’ennemi n°1 en France. Il a causé pourtant beaucoup de dégâts en Californie dans les années 1990 (utilisation d’un porte greffe peu résistant au phylloxéra).