J’ai une autre passion… Celle des temps anciens, de Cléopâtre amoureuse de Jules César, des mémoires d’Hadrien, des joutes verbales de Socrate, de Zeus se métamorphosant pour séduire de magnifiques jeunes femmes, des gladiateurs se battant dans l’arène, du pain et des jeux, de Ulysse qui a fait un long voyage et qui revient plein d’usage et de raison, des irréductibles gaulois, des invasions barbares, de Pompéi et ses vestiges, du Minotaure… J’aime la mythologie, l’Antiquité, les toges et les colosses nus sculpturaux! Quelle époque… Et c’est dans ces temps anciens que le vin est né! L’apothéose…
Durant l’Antiquité, ce sont bien sûr les amphores qui étaient utilisées pour contenir le vin. Aujourd’hui et depuis belle lurette (depuis le IIIème siècle de notre ère pour être précise), elles ont été remplacées par les barriques et les cuves (en béton, en inox…). Pourtant certains souhaitent un retour aux sources et utilisent depuis plusieurs années une vinification en amphores!
Gros plan sur l’une de nos propriétés made in France, la tête dans les étoiles, les pieds ancrés dans son terroir et les mains dans l’argile: le Domaine Viret près d’Orange.
‘Quand l’amphore est à sec, les amis se dispersent‘ Horace
L’amphore, en latin ‘Dolia’, est le packaging antique par excellence ! Elle date du VIIIème siècle avant Jésus Christ et est utilisée comme contenant pour le vin, l’huile d’olive, les poissons… Alors certes, l’amphore est fragile et encombrante mais elle a également des avantages: une micro-oxygénation plus importante qu’en barrique, donc une évolution plus rapide, une rondeur facilement acquise, des tanins assouplis, et tout cela sans le boisé parfois trop puissant (on sait de quoi on parle quand on est bordelais). De plus, l’amphore est faite d’argile, élément utilisé en vinification pour clarifier et connu sous le nom de bentonite: les vins sont donc parfaitement limpides et purs.
Situé près d’Orange dans les Côtes du Rhône Méridionales, le Domaine Viret vous accueille sous un soleil lumineux… Il faut prendre un petit chemin sinueux pour accéder à la propriété mais il n’y a pas de Sphinx qui vous pose des questions à l’arrivée…Un bâtiment en pierre superbe, intense et imposant, surplombe la vallée. Je suis entrée dans une autre dimension lorsque mes pas ont foulé cette terre de cosmoculture! L’équipe de la propriété est très sympathique! Petit clin d’œil à Sandrine qui m’a très bien accueillie avec son accent du sud (ouest) chantant… Merci ! Mais c’est le propriétaire, Philippe Viret, qui m’a fait l’honneur de la visite. Décontracté et investi, Philippe est un homme de terrain, un de ceux qui a une morale.
La morale dans notre métier, c’est parfois quelque chose qui se perd…La morale, vis-à-vis de nos clients, vis-à-vis de nos concurrents et surtout vis-à-vis de notre terre. Alors au Domaine Viret on essaye de faire différemment. Je ne vais pas parler business ici, mais comme vous le savez, ce qui est prometteur est souvent copié et parfois pas très bien: made in China, bonjour! Le Domaine Viret utilise des amphores depuis 2005. Pourquoi des amphores? Par curiosité? Par intérêt œnologique? Pour un retour dans le passé? Il est vrai que le Domaine Viret est situé sur la colline du Paradis, un ancien oppidum (une fortification romaine) : un lieu rempli d’histoire. A la suite d’une dégustation d’un vin sicilien élevé en amphore, Philippe Viret a eu un coup de cœur pour la finesse et la pureté de ce vin. Il a donc réintroduit les amphores en démarrant les premières vinifications dans des dolias d’Espagne. C’est le temps de la découverte.
En 2007, Philippe va rencontrer par hasard Alain Berthéas, un artiste potier spécialisé dans les œuvres monumentales. Ils vont travailler ensemble sur une dolia au nombre d’or, parfaite pour la vinification, une œuvre d’art, une prouesse d’argile. Pour rappel, le nombre d’or vaut 1,6180339887 et il représente une proportion de l’esthétique mathématique inventée par Pythagore ou Euclide. On le trouve dans la nature (étamines de la fleur de tournesol…) mais il a été aussi beaucoup utilisé en peinture (Boticelli…), architecture (Le Corbusier…), sculpture et même musique. Le chai cathédrale du Domaine respecte également ces proportions des grands bâtisseurs. Les dolias font 420 L, sont gravées de symboles astrologiques et sont au nombre de 20 pour l’instant. C’est le temps de la persévérance et le temps de la consécration puisque le projet futur est de réaliser le premier chai à amphores de France…
Parlons aussi d’une autre originalité du Domaine: la Cosmoculture. Cosmo Quoi ? C’est un terme déposé (on fait les choses bien au Domaine Viret) car il faut dire que c’est une méthode de viniculture propre à Philippe et son père Alain. Elle est apparue dans les années 90 à la suite d’un constat: les hommes, les végétaux et les animaux sont liés et bénéficient des champs telluriques et cosmiques où l’eau joue un rôle majeur. Il faut rééquilibrer, réénergiser et sauvegarder les écosystèmes et les êtres vivants. Aujourd’hui, beaucoup de produits sont utilisés dans la vigne et dans les chais, il faut les substituer à des éléments naturels. La cosmoculture est un exercice physique et intellectuel, c’est un choix avant tout.
Pour mieux comprendre, vous pouvez considérer que les vignobles du Nouveau monde (Etats-Unis, Amérique du Sud, Afrique du Sud et Océanie entre autres) n’ont aucune législation quant à l’utilisation d’insecticides, herbicides et pesticides dans la vigne et aucun suivi concernant les produits utilisés dans les chais: c’est à vos risques et périls, ma petite dame! Les pays de l’Ancien monde comme la France ont une législation plus ou moins sévère, les produits sont encadrés et un cahier des charges est obligatoire (différent si les propriétés sont en AOC ou IGP…) en cas d’audit de l’INAO. Les producteurs bios, de plus en plus nombreux, doivent respecter la législation en vigueur et un cahier des charges encore plus rigoureux.
Enfin, les adeptes de la cosmoculture ont une charte supplémentaire à respecter. Ils considèrent que leurs actes agricoles doivent dépasser ceux demandés habituellement, que ce soit dans la vigne et dans le chai. Le but étant d’être une ‘garantie d’un monde plus vivant, plus respecté et plus équilibré’. Il ne s’agit pas ici de s’autoproclamer cosmoculteur (je ne sais pas si ce terme existe ?!) : il y a un comité d’éthique qui chapeaute l’ensemble. Pour plus de renseignements, vous pouvez consulter le site internet du Domaine Viret qui expose la Charte.
Voici un exemple concret avec l’utilisation du SO2 dans le vin. En France, pour un vin rouge AOC, il y a une limite de 150mg/L de SO2 total (législation de l’UE). Pour un vin rouge, type vin de pays, il y a une limite de 120mg/L de SO2 total. Pour les vins bios, la législation autorise un maximum de 100mg/L de SO2 total. Enfin pour les adeptes de la cosmoculture, la dose autorisée est entre 5 à 25mg/L de SO2 total (le domaine Viret a des vins avec moins de 10mg/L depuis 2002). Comme vous pouvez le constater, il y a une ‘légère’ différence !
Alors voyons maintenant en pratique ce que cela donne : la dégustation dans le magnifique chai cathédrale !
– La Coudée d’Or, AOC CDR Village Saint Maurice blanc, 2012 (Viognier, Clairette, Roussane et Marsanne)
Jolie couleur fraîche avec un nez très aromatique. Le tout est sur la fraîcheur et en même temps sur le gras. Le vin est très agréable en bouche. Un séduisant mélange de cépages du Rhône, entre fleurs et fruits blancs.
Comptez 15 euros à la propriété
– Dolia Paradis Ambré, 2012
La couleur détonne et étonne (voir la photo ci-dessus): c’est un joli ambré orangé… Assez curieux quand on sait que le vin est sec (vu la couleur, on s’attend à un vin doux). Le nez est abricoté, puissant et aromatique. Assez gourmand et sucré. Le second nez est plus frais et laisse échapper des notes de miel, d’amande et toujours d’abricot. La bouche est fraîche avec une acidité prononcée mordante. On retrouve l’abricot. C’est atypique, c’est long et la finale est même mentholée ! Intéressante découverte.
Comptez 30 euros à la propriété
– Renaissance, Vin de France rouge, 2012 (Grenache, Syrah…)
D’une jolie couleur rubis, ce vin propose un nez agréablement fruité et poivré. La bouche est fraîche. On retrouve le poivre, la pivoine, la mûre… La syrah est dans l’air. Les tanins souples tapissent doucement la bouche et laissent place à une légère sucrosité. La finale laisse apparaître des fleurs et encore le poivre si révélateur de la Syrah du Rhône.
Comptez 11 euros à la propriété
– Maréotis, AOC CDR Village Saint Maurice rouge, 2009 (Grenache et Syrah sur argiles blanches)
Un coup de cœur ! Avec un joli rubis intense dans le verre, le parfum qui se dégage est gourmand sur le coco et un boisé… La mûre et la cerise apparaissent et s’intègrent parfaitement. Le second nez me fait penser à un bois vert que l’on vient de couper (c’est agréable, ce n’est pas une senteur type poivron désagréable). La bouche est très belle sur le café, le cacao. C’est complexe et des arômes de fruits rouges compotés arrivent en suivant avec une vanille attrayante. La finale est sur le même tempo. Le passage en barriques usagées a été bénéfique et on sent la rondeur que le terroir argileux apporte à ce vin !
Comptez 15 euros à la propriété
– Colonades, AOC CDR Village Saint Maurice rouge, 2010 (Grenache âgées de 100 ans sur calcaires)
D’un rubis profond, le nez de ce vin a des notes agrestes (herbes aromatiques) ainsi que des flaveurs fruitées de figue, de fruits rouges comme la groseille ou la framboise. C’est très gourmand. La bouche est fraîche avec une belle structure preuve du terroir calcaire. Les tanins sont souples et englobent les fruits rouges sur une finale longue.
Comptez 15 euros à la propriété
– Dolia Paradis Rouge, 2010
La couleur de ce vin élevé en amphores est plus claire que le précédent mais est très intense. Le nez est puissant sur les fruits cuits. Le second nez confirme la puissance avec une légère impression de iodé. Le fruité sur la framboise, le viandé léger confirment une certaine complexité. La bouche est fraîche avec une acidité intéressante, des tanins souples, une sucrosité légère et une confirmation de complexité. Je sens le fruit (framboise et prune fraîche) et la réglisse. Un mot me vient à l’esprit : pureté. Le vin est pur, droit, élancé, avec une finale très aromatique sur les fruits frais.
Comptez 30 euros à la propriété
– Dolia Temps de Grenache, 2010 (100% Grenache)
Une belle couleur rubis et un nez aromatique caractérisent ce joli vin. Un peu agreste, un peu animal, fruité sur la mûre, la figue, la rose et la poire… C’est agréable ! La bouche est fraîche, douce et acidulée avec des notes de figue et de fleur. Il y a une légère amertume mais qui n’altère pas l’ensemble. Les tanins sont souples et la finale sur la longueur.
– Dolia Temps de Syrah, 2012 (100% Syrah avec macération d’un an en amphore)
La couleur est violine. Intense et limpide. Le nez de la Syrah est reconnaissable: fruité et fleuri sur le poivre, la pivoine, la rose et les fruits rouges. Il y a une expression très pure de ce cépage, très fine. La bouche est fraîche et acidulée avec des tanins souples. Réglisse, café, cacao, fruits rouges, pivoine, rose, minéralité et amertume légère. C’est un joli mélange. La finale est aussi séduisante que la bouche !
(Pas encore sur le marché)
– Dolia Temps de Grenache, 2012 (100% Grenache avec macération d’un an en amphore)
Dans le verre, ce Temps de Grenache a une couleur violine rubis. Le nez est fruité avec des notes de figue, de fraise cuite et de cerise mûre. Il y a une belle acidité en bouche accompagnée d’une sucrosité agréable. Réglisse et fleurs forment un sympathique cocktail. La finale est très jolie, délicate avec du poivre rose et un côté boisé brûlé atypique enlacé avec de la mûre.
(Pas encore sur le marché)
En conclusion, profitons-en pour rendre à César ce qui appartient à César : l’élevage en amphores en France a été mis en place par le Domaine Viret! D’autres propriétés s’essayent à ce type de vinification avec plus ou moins de succès. Parmi les plus talentueuses, qui font également partie des premières avec le Domaine Viret à avoir tenté l’antique expérience, citons Stéphane Tissot dans le Jura, Dominique Belluard en Haute-Savoie et Yves Canarelli en Corse.
Le Domaine Viret possède deux originalités: les amphores et la cosmoculture. Mais ce terme originalité ne doit surtout pas être pris comme la lubie d’un viticulteur businessman ! Il s’agit ici d’un autre discours, celui d’un homme, d’un père, d’un mari, d’un terrien qui veut allier sa passion au respect de sa vigne et mettre son savoir-faire au service de l’expression de son terroir. Alors on y croit ou pas, mais pour cela il n’y a qu’une chose à faire: goûter son travail! J’ai foulé sa terre, serré sa main, vu sa propriété et partagé son vin… J’ai aimé et je soutiens cette démarche de vouloir donner du plaisir aux gens tout en respectant son vignoble. Parce que c’est cela, l’essence du vin.
Domaine Viret
EARL Clos du Paradis
26110 Saint-Maurice-sur-Eygues
Tél : 04 75 27 62 77