Terroir.
C’est un mot français qui prend racine dans le latin et qui signifie non pas terre mais territoire (territorium). Il est impossible à traduire : on dit terroir en anglais ou en japonais. Et sa définition est compliquée : tout le monde n’est pas d’accord. Certains disent qu’il s’agit de la terre, du sol… D’autres englobent une région dans son intégralité avec ses savoir-faire et ses traditions.
J’ai une définition plus poétique, plus personnelle de ce concept. J’aime dire que le terroir est un mélange de la nature, de l’Homme et de Dieu.
La nature, c’est le sol, le sous-sol et donc la plante ou l’animal qui va vivre dessus. C’est aussi la topographie, est-ce que l’on est sur une colline, sur les coteaux ou au niveau de la mer ? Mais c’est également la proximité d’un point d’eau, d’une forêt ou pas… Tout cela va avoir une influence sur le produit final.
L’Homme avec un grand H correspond à toutes les décisions et les techniques pour (tenter de) maîtriser la nature et créer un produit identitaire au lieu. Le maître de chais est-elle une femme ou est-il un homme ? Quel type d’agriculture utilise-t’on : conventionnelle, biologique, biodynamique ? Va-t’on utiliser des cuves en béton, en innox ou en bois pour faire un vin ? Des barriques neuves ou pas, dans quel bois, quelle chauffe ? Quelle température va-t’on mettre en place pour la vinification, l’élevage ? L’Homme, c’est l’ensemble des savoir-faire, des traditions, des habitudes, des innovations, des révolutions.
Dieu enfin. C’est tout ce que l’on ne peut pas contrôler. Il s’agit ici du climat et de la météo. Ces éléments qui vont nous offrir dans le vin, la notion de millésime. Comme des enfants : les millésimes partagent le même ADN d’une propriété viticole avec des parents (maître de culture/maître de chais) qui adaptent alors leur éducation (viticulture et viniculture) en fonction de la personnalité (la météo) de leur chérubin !
Qu’en est-il dans le saké ? Est-ce que cette notion de terroir a du sens ?
C’est une question que j’ai déjà abordé et qui m’a toujours intrigué. Il y a un débat (féroce parfois) au sujet de ce concept de terroir dans le saké japonais. J’ai d’ailleurs co-écrit un article et fait une conférence au CAFA à propos de l’existence ou pas du (des) terroir(s) et son impact sur le produit final qu’est le saké.
Alors si vous le voulez bien, nous allons reprendre les grands points de ma définition de terroir et voir si cela s’applique au saké japonais ! Etes-vous prêt ?
La nature dans le saké japonais
L’eau est un élément essentiel dans le saké japonais. Il est pour moi la signature du lieu où est produit le saké. En effet, les Maisons de production sont souvent à proximité de sources. La qualité de l’eau au Japon est extraordinaire. La qualité des sous-sols joue un rôle direct dans la pureté des eaux en apportant des sels minéraux utiles lors de la production du saké. Les eaux au Japon sont en général douces mais on trouve bien entendu des taux de magnésium et de calcium différent.
La famille de riz Japonica qui est utilisée pour la fabrication du saké japonais est difficilement lié avec le lieu de production. En effet, s’il existe environ 100 riz à saké, ils sont disséminés dans le Japon et les Maisons vont régulièrement faire venir les riz d’autres régions : le Yamadanishiki provient de Hyogo, l’Omachi de Okayama, le Gohyakumangoku de Niigata… Alors bien sûr, le sol, le sous-sol, l’eau, le climat jouent sur la qualité du riz et son développement. Mais c’est un peu comme si nous faisions venir du Pinot Noir de Bourgogne à Bordeaux pour faire le vin. On ne peut pas dire que le cépage (de riz) fait parti de l’identité physique du saké.
Le Koji, autre élément très important, ne provient pas nécessairement du lieu de production. Il existe des guildes ayant des monopoles sur le Koji qui vont le distribuer dans tout le Japon.
La levure peut jouer un rôle identitaire important si elle est indigène. C’est le cas pour les méthodes traditionnelles comme la méthode Kimoto ou la méthode Yamahai. Cependant ces méthodes ancestrales sont difficiles, longues et couteuses : de nombreuses Maisons vont acheter des souches de levures qui ont été sélectionnées et parfois modifiées pour donner des goûts par exemple à leur gamme de sakés. En 1906, il y a eu une campagne gouvernementale qui a recueilli les levures indigènes des Maisons pour les reproduire : 60 souches en tout. C’est aujourd’hui ce que l’on appelle les levures Kyokai. On sait que la levure 1 provient de la Maison Sakura Masamune à Hyogo, que la levure 2 vient de Gekkeikan à Kyoto… Les Kura peuvent donc utiliser ce portfolio de levures et les utiliser.
Les Hommes dans le saké japonais
Il existe aujourd’hui 26 guildes de Toji (chef ou cheffe de cave) au Japon. Les guildes régionales forment leurs membres, échangent leurs méthodes de production, créent des styles distinct… Certaines guildes font aussi des formations diplomantes.
A l’époque le Toji était un ouvrier saisonnier qui tournait de Maison en Maison en fonction des années. Aujourd’hui, 47% des Toji sont aussi propriétaires de leur Kura. Un petit nombre (qui augmente) sont des femmes.
Bien sûr chaque Toji a sa méthode de production. Les savoir-faire sont transmis de génération en génération. La modernité côtoie la tradition.
Ce que l’on ne peut pas contrôler dans le saké japonais
Le Japon est un archipel qui a une diversité de climats. Il faut compter 3000 km entre le nord au climat continental et le sud du Japon qui est plutôt subtropical. Le Japon est recouvert au 3/4 de montagnes et à plusieurs mers.
Cette diversité de climats influence la culture du riz et également la période de production du saké (plutôt en hiver).
La volonté de mettre en avant les terroirs nippons
Depuis ces dernières années, les Indications Géographiques dans le saké japonais se multiplient. La première date de 2005 avec Hakusan puis il faudra attendre 2015 pour que le nom Nihonshu soit protégé : peut s’intitulé Nihonshu, les sakés produits au Japon avec des ingrédients japonais.
Depuis 2020, les GI (Geographical Indication) ont la côte. Elles ne définissent pas nécessairement des méthodes de production mais des lieux. Elles sont de plus en plus précises et encadrent un certain nombre de producteurs qui sont contrôlés.
Vous l’avez compris, la notion de terroir est complexe. Il ne s’agit pas d’une équation à une inconnue mais bien à plusieurs facteurs… Le saké japonais a un terroir. C’est une boisson culturelle, millénaire. L’eau joue un élément central dans sa personnalité et bien sûr sur son identité. Je ne pense pas qu’on puisse dire que le terroir n’existe pas dans le saké. C’est réducteur. On voit d’ailleurs que le GI font des efforts pour se préciser. Elles essayent de se calquer sur nos AOC ou IGP. A voir par contre si cela uniformise les goûts comme certains détracteurs des AOC le suggèrent ou si au contraire, cela va amener une reconnaissance. Le débat est ouvert.
Je pensais aussi à une autre façon de jouer sur la notion de terroir dans le saké japonais via la gastronomie. Comme pour le vin, le saké japonais est produit en fonction des lieux pour s’accorder avec la gastronomie locale. Les produits régionaux sont ainsi mis en avant. Et donc c’est tout le terroir d’une région qui est projeté dans l’accord réalisé. Oui, certaines Préfectures sont spécialisées dans les fruits de mer. Mais d’autres, ont de très bon légumes et de la viande. Les spécialités locales qui sont le fruits d’une région sont mises en exergue par l’utilisation du saké japonais. Exhausteur de goût mais pas que. Il permet de souligner et de mettre en lumière la beauté gastronomique des ingrédients.
Les japonais ont une philosophie particulière autour de l’eau. La qualité de cette dernière est primordiale. Elle fait la qualité du saké vous l’avez vu mais aussi celles des ingrédients. C’est un peu comme dans la dégustation du whisky où pour souligner la beauté de ce spiritueux on va rajouter une goutte de l’eau de source que l’on a utilisé pour le produire. Le saké japonais est un peu cette goutte d’eau qui fait toute la différence sur un plat de sa région !
#Emission France Bleu Gironde du 02 Mars 2022 : cliquez sur le lien pour découvrir l’article d’Isabelle Wagner et écoutez le replay plus facilement !