Saké, Kanpai

Le Japon m’a toujours fait rêver… Le Mont Fuji enneigé, les fleurs de cerisier ‘Sakura’ qui virevoltent dans le vent, les baguettes qui s’entrechoquent pour attraper un tempura de crevette, les kimonos flamboyants avec les petites chaussettes blanches qui dépassent, les sacs Hello Kitty des Ganguros qui ressemblent à des pandas, les masques Nô qui vous effraient ou vous font rire, les sumos qui combattent dans la poussière et les cris des spectateurs, Tokyo la ville qui ne s’arrête jamais, la campagne verte et paisible, Kyoto l’historique où l’on respire les traditions ancestrales, la cérémonie du thé pleine de conformisme et de douceur, le pinceau qui court sur la feuille de riz et qui offre des idéogrammes sortis d’un autre monde et le saké puissant et brûlant dans un petit verre à la fin du repas où l’on peut voir une femme nue apparaître…       

 Je dois l’avouer: je n’aime pas le saké. Je voyais le petit verre comme un geste commercial dans un restaurant asiatique proposant de la cuisine chinoise, japonaise, vietnamienne et coréenne à la fois (quelle honte)! Bref une arnaque alcoolisante sans intérêt et de mauvais goût (au propre et au singulier) avec cette nénette à poil au fond d’un verre, comme si nous étions des narcisses grivois! Et bien une fois n’est pas coutume : je me suis trompée. Enfin pas tout à fait! Le saké que j’ai pu goûter n’a rien à voir avec la piquette céréalière de supermarché que l’on nous sert avec un Fortune Cookie. 

La consommation de saké ne cesse d’augmenter notamment à l’étranger et devient un alcool qui attire de plus en plus de dégustateurs. Preuve en est cette année avec le premier salon du Saké à Paris en Juin 2013. Alors jetons aux orties les pseudos sakés et rendons hommage à ce breuvage nippon qui nécessite un savoir-faire unique et qui est le symbole de l’unification de la tradition avec la modernité. Car maintenant je peux le dire: j’aime le saké !     

« Le saké pour le corps. Le haïku pour le cœur »

Dégustation de sakés à Vinexpo

Le saké Daishichi est l’un des plus connus et reconnus au Japon. Hideharu Ohta San est le Président Directeur Général de cette entreprise qui existe depuis 1752. Vêtu d’un costume noir, cravate noire et chemise blanche, c’est avec une révérence majestueuse que Monsieur Ohta nous a salué avant de faire son discours d’introduction. Les cheveux noirs luisants avec la raie sur le côté gauche, la barbe et la moustache bien taillées, il nous a présenté Ad Blankestijn, qui est un Maître Sommelier en Saké (rare puisqu’il est européen). Ad Blankestijn nous a fait la dégustation. 

 Le saké n’est pas vraiment un spiritueux. On peut plus rapprocher cet alcool de la bière car il n’y a pas de distillation mais une transformation d’un moût en alcool avec une création de sucre. Par contre, en terme de degré alcoolique, le saké est plus proche du vin que de la bière. Synonyme d’Umami qui est le cinquième goût (salé, sucré, amer, acide) et signifie ‘délicieux’, le saké était réservé aux hommes et était bu à la Cour impériale. Un saké se déguste comme le vin: on observe la couleur ainsi que l’apparence des larmes, puis on fait le premier nez. Il n’est pas commun de faire tournoyer le saké dans le verre afin de l’aérer mais en Europe, c’est classique donc c’est admis. Puis la dégustation commence avec une petite quantité de saké que l’on recrache. Mais avant de vous parler des perles japonaises, je voulais vous expliquer la façon de faire un saké chez Daishichi. 

Daishichi tente depuis sa création de mêler tradition, innovation et esthétisme. Située dans la ville de Nihonmatsu au nord du Japon près de la triste ville de Fukushima, l’entreprise met tout en œuvre pour respecter une méthode artisanale de production: la méthode Kimoto. Le climat froid de la région est parfait pour la création du saké (il faut une température idéale de 9° pour la fermentation) ainsi que l’eau pure que l’on trouve dans ces zones peu habitées du nord de Honshu. Le riz n’est pas comme le raisin : il n’a pas vraiment d’arômes variétaux. C’est donc l’eau qui concrétise la notion de terroir dans le saké. De plus, le riz utilisé provient de plusieurs endroits: les producteurs de saké ne possèdent pas en général de rizières. Il existe entre 80 et 100 variétés de riz à saké (différent donc du riz de table) dont le plus connu est le Yamada Nishiki produit dans la région de Kobé. 

Pour faire du saké, il faut donc récolter le riz. Puis il faut le polir: on enlève les protéines qui entourent le grain afin de garder le cœur qui contient l’amidon le plus pur. Le polissage va déterminer la qualité du saké. Les saké dits Ginjo (Premium) ou Daiginjo (Super Premium) ont connu un polissage qui laisse 50% minimum du grain. Chez Daishichi, une méthode de polissage ultra-plat du riz permet d’obtenir un saké d’excellente qualité. Ensuite vient l’étape du lavage des grains. On trempe le riz dans l’eau: le maître de chai doit surveiller l’imbibition des grains à la seconde près. Le riz gorgé d’eau va être cuit à la vapeur puis l’on va prélever environ 20% des grains et l’on va le saupoudrer les spores du champignon Koji. En deux jours, le champignon qui est une moisissure va pousser et recouvrir le riz de ses petits cheveux blancs. Les enzymes produites par Koji vont transformer l’amidon en sucre.

Dégustation de plusieurs types de sakés japonais

Enfin, étape très importante, la fermentation va pouvoir prendre place. La méthode classique veut que l’on mélange les 20% de riz Koji avec les 80% de riz vapeur ainsi qu’avec de l’acide lactique et des levures. Cette étape dure 10 jours environ et donc les levures vont produire de l’alcool et Koji va continuer à fabriquer du sucre. La fermentation a lieu à basse température (10 à 15° et même moins pour un bon saké comme chez Daishichi). La méthode Kimoto utilisée par Daishichi a été créée durant le 17ème siècle (époque Edo). Contrairement à la méthode classique que je viens de vous décrire (utilisée par 99% des sakés japonais) où les levures sont rajoutées dès le début avec de l’acide lactique, la méthode Kimoto est un procédé complexe afin de créer cet acide lactique. Le riz va être mélangé avec le riz Koji et de l’eau: ce moût va être broyé (Yamaoroshi) puis chauffé et les bactéries lactiques vont se développer. Les levures de saké vont être rajoutées vers le 15ème jour et le moût sera refroidi vers le 25ème jour. La fermentation dure en tout 30 jours, contrairement aux 10 jours de la méthode classique. A la fin, c’est Moromi: la naissance du saké. 

Le saké va être filtré: on met le moût dans des sacs que l’on laisse suspendus, le saké va s’écouler ou alors on va presser directement le moût. Le saké obtenu peut être consommé. Mais là encore il y a deux types de saké : soit le Junmai qui est sans ajout d’autre alcool de riz, soit le non Junmai ou Honjozo dans lequel de l’alcool de riz a été rajouté durant l’égouttement afin que des esters (arômes fruités en général) glissent dans le saké. Voyons maintenant ce que propose Daishichi ! 

Master Class saké à Vinexpo Bordeaux

– Yukishibori Nigori(Saké Nuageux), type Honjozo, 14%.

Il s’agit d’un saké pétillant produit avec la méthode traditionnelle et bénéficiant d’une seconde fermentation en bouteille. A base de Gohyakumangoku, il est laiteux dans le verre, on dirait que l’on vient de me servir de l’eau de coco. Très aromatique sur le fruit blanc comme la poire, je perçoit des arômes lactés également. On sent le riz vapeur dans une étonnante fraîcheur. La pomme surgit avec une impression de lait à la grenadine (oui je sais, je ne changerai jamais… j’ai des flashs un peu bizarres parfois !). La bouche est fraîche et légèrement perlante. Je ressens le riz accompagné d’une sucrosité. La pomme est de nouveau là, la pomme jaune avec sa peau toute flétrie… Celle que l’on prend vite parce qu’elle est bientôt à jeter afin de faire un gâteau ! Je sens que quelque chose a fermenté et la fraîcheur est étonnante. C’est très agréable à boire et en fin de bouche une petite brioche s’octroie le droit d’exister. L’ensemble est très délicat…    

 – Masakura(Authentique Fleur de Cerisier), type Junmai Ginjo, 15%.

Elaboré à partir du riz Gohyakumangoku, ce saké est totalement transparent, la froideur du verre monte progressivement et brouille un peu la vue. Le nez est frais sur la fermentation. Pomme, thé, pomme verte au second nez. L’ensemble est délicat et d’une fraîcheur glacée. J’ai limite l’impression de sentir une boule de glace vanille. La bouche est fraîche sur le chocolat au lait. Il y a une belle sucrosité et on ne sent absolument pas l’alcool. Le gâteau petit Lu arrive en finale avec la poire et en toute toute fin je perçois une touche d’olive verte. Mais qu’est-ce que c’est bon !  

 – Minowamon(Le nom d’une des portes du Château Nihonmatsu), type Junmai Daiginjo, 15%. 

Toujours limpide et transparent, ce saké, produit à base du fameux Yamada Nishiki, a le nez plus délicat et plus discret en même temps. Il y a toujours un côté fermenté intéressant accompagné d’un petit citron léger. La pomme encore, bien jaune et bien mûre avec cette impression glacée qui persiste. La sucrosité est moins présente que dans Masakura dans les premiers temps : elle apparaît progressivement. La bouche est aussi plus discrète, plus florale avec des notes de pêche blanche. La fumée du riz vapeur vous prend mais ce n’est pas agressif. La finale me fait encore penser à une olive verte !

 – Hôreki(Le nom de l’ère durant laquelle Daishichi a été créé), type Junmai Daiginjo, 16%. 

Yamada Nishiki donne un saké transparent, léger, sur la pomme et aussi l’ananas bien mûr, voire trop mûr. On sent un peu moins le riz mais plus le fruit. L’ensemble est plus frais, plus acidulé. La bouche est subtile, douce avec une acidité bien présente. Pomme, ananas, poire… On reste sur les mêmes arômes avec une belle fraîcheur (quelle constance!). L’alcool est légèrement plus cognant et se traduit par une petite amertume en fin de bouche et un côté salin. 

 – Kimoto Umeshu(Saké de prune), type Junmai avec des prunes Nanko Umé, 12%. 

Le riz Gohyakumangoku est mélangé à des prunes de qualité supérieure Nanko Umé, la plus connue au Japon. La couleur dénote: elle est d’un doré léger. Le nez est incroyable! C’est mon coup de cœur du jour! Je suis tombée amoureuse de cet alcool… Je sens la cerise griotte puis l’amande ou plutôt l’orgeat. Mais finalement, la chair de pruneau est le descriptif le plus adéquat. La chair d’un pruneau juteux et aromatique. Très gourmand, acidulé et sucré en même temps, le second nez confirme la tendance prune. La bouche est délicieuse…  Oh la la!… Je vais m’expatrier au Japon! Acidulée et sucrée, elle est bien équilibrée. Je goûte un bonbon! Pruneau frais très agréable,mais la vanille parvient à se faire une place. L’acidité persiste mais de façon juste et la chair de pruneau explose en finale. Magique! 

Daishichi produit des sakés de grande qualité. Mais il existe une ombre au tableau: l’entreprise est située proche de la ville de Fukushima. Tristement célèbre à cause du tsunami de 2011 qui a provoqué un accident nucléaire, elle est située au nord de la ville de Tokyo. Daishichi a choisi la transparence et explique les mesures prises à cet égard. La direction assure que le site de production n’a pas été touché directement par la vague de radiation (ils sont situés à 60 kms de la centrale nucléaire) mais qu’en effet, quand même, l’explosion initiale d’hydrogène en a propagé sur le site. Pour cela, ils ont installé des filtres de haute performance sur toutes les ventilations afin que les particules soient piégées. Aucune poussière ne peut donc rentrer dans les installations. Des obturateurs ont été mis en place dans la zone d’embouteillage: ainsi l’air de l’extérieur ne peut pas pénétrer. Des boitiers NaI vérifiant ainsi les teneurs en radiation sont utilisés quotidiennement. Et Daishichi est la première entreprise de Saké à utiliser un système de remplissage sous-vide (système anorexie) permettant ainsi de protéger le saké de l’air et d’une possible oxydation. 

Concernant l’eau, elle provient d’une source souterraine Naka Ido. Des études menées notamment à Tchernobyl ont démontré que les radiations ne pénètrent pas le sol. Ainsi l’eau n’est pas contaminée. Un détecteur Gemanium est aussi utilisé afin de vérifier que l’eau n’est pas polluée. Aucune anomalie n’a été trouvée pour l’instant. L’eau utilisée pour nettoyer les chais provient de la municipalité et est suivie régulièrement. Concernant les riz: ils proviennent de zones éloignées de Fukushima. Tous les lots de riz sont tout de même vérifiés avant et après le polissage. L’origine des prunes est aussi éloignée du site nucléaire. 

Voici donc ce que Daishichi a mis en œuvre pour conserver son site propre. Du moins c’est ce qui est expliqué sur leur site. 

Maison de Saké Daishichi

1-66 Takeda, Nihonmatsu

Fukushima 964-0902

Japan  

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