PARTIE 2) ‘Monsieur le Conseiller, lequel préférez-vous du Bourgogne ou du Bordeaux ?’ – ‘Madame, répondit Brillat Savarin, c’est un procès dont j’ai tant plaisir à visiter les pièces que j’ajourne toujours sous huitaine la prononciation de l’arrêt’
Il est vrai que les différences entre Bordeaux et la Bourgogne se comptent sur les doigts de la main. Mais il faut bien les comprendre. Aussi voici la seconde partie de cet article où je rentre enfin dans le vif du sujet : la différence gustative dirons-nous !
- Monocépage contre assemblage :
Bordeaux est reconnue pour la complexité de ses vins grâce notamment à l’assemblage. L’assemblage consiste à ‘mélanger’ les cépages selon une savante proportion qui varie en fonction des propriétés. Les cépages bordelais maîtres sont le Cabernet Sauvignon, le Cabernet Franc et le Merlot (il existe aussi d’autres cépages comme le Petit Verdot ou le Malbec mais en proportion moindre) pour les rouges et le Sauvignon Blanc, le Sémillon et la Muscadelle pour les blancs (secs et liquoreux). Quant à la Bourgogne il n’y a pas d’assemblage et le cépage roi est le Pinot Noir pour les rouges, le Gamay dans la région du Beaujolais et le Chardonnay pour les blancs…
Le Cabernet Sauvignon, le Cabernet Franc et le Merlot sont assemblés et connaissent en général un élevage en barriques. Couleur rubis sombre, pourpre parfois, violine souvent… Vous trouverez un peu plus de Cabernet Franc côté rive droite (Saint-Emilion) : l’exemple le plus incroyablement délicieux n’est autre que Cheval Blanc avec 60% de ce cépage dans son assemblage. Rive gauche, il y a plus de Cabernet Sauvignon et de Merlot. Avec des notes de fruits noirs (mûre, cassis) et rouges (cerise, fraise, framboise), les vins de Bordeaux sont aussi tanniques, avec des touches de bois bien intégrées (normalement) sur le coco, la vanille, le cacao et les épices douces. Apparaissent un côté animal (cuir) souvent, de magnifiques notes végétales (sous-bois, tabac, menthe, poivron) et de subtils parfums floraux (violette, rose) : il y a beaucoup de complexité dans les vins de Bordeaux. Toute cette complexité crée souvent de la dérive : trop de bois, beaucoup d’acidité, des tannins exacerbés… Bref de pâles copies de ce que peut être un Bordeaux de qualité. Enfin, les vins de Bordeaux sont reconnus comme des vins de longue garde, un point commun avec les vins de Bourgogne même si le Pinot Noir est un cépage qui se plaît à être bu jeune. Pour les vins blancs, que ce soit des secs ou des liquoreux, le Sauvignon Blanc est en majorité avec le Sémillon. Les deux cépages se complètent parfaitement : le Sauvignon Blanc apporte acidité et fraîcheur alors que le Sémillon apporte du gras et des arômes type fruits exotiques. Les vins blancs de Bordeaux sont élevés en barriques afin d’apporter des arômes secondaires. Ce sont des vins complexes qui peuvent être conservés longtemps mais qui sont plutôt à consommer dans les cinq ans afin de goûter toute la vivacité qui les caractérise.
Côté Bourgogne, le Pinot Noir aime les climats froids, il est particulièrement heureux dans les régions bourguignonnes du nord (Côte de Nuit, Côte de Beaune et Côte Chalonnaise). On le retrouve aussi en Alsace ou en Champagne où il a su développer un certain potentiel. On peut goûter de délicieux Pinots provenant de climat chaud comme l’Australie ou la Californie : les vins seront plus confiturés… Le Pinot Noir est un cépage fruité tirant sur la cerise, la mûre… Il a une grande fraîcheur, une belle minéralité et souvent un côté végétal. On considère, et à juste titre, que la Bourgogne est le terroir de prédilection pour la plus belle expression du Pinot Noir et aussi du Chardonnay. Le Chardonnay, grand cépage de la Champagne, donne des vins frais et fruités sur la pomme verte, l’ananas avec un fumé et un beurré très agréables. Le Gamay est utilisé principalement dans la région Beaujolais. Je ne dirais pas ce que je pense du Beaujolais Nouveau ou comment élever du jus de raisin fermenté au rang de vin festif à grands coups de marketing, mais je n’en pense pas moins ! Toujours est-il qu’en Bourgogne, il n’y a pas d’assemblage. Les vins sont issus d’un seul cépage et c’est cela que les dégustateurs amateurs de Bourgogne recherchent…. Ce qui nous amène facilement au dernier point : une vision opposée du vin !
- Deux visions opposées
La même vision du partage et du plaisir mais pourtant pas la même vision du vin… C’est bien ça la grande différence entre ces deux régions. C’est le point de divergence majeur et quel point…
D’un côté du ring, vous avez Bordeaux. Bling bling parfois, des Châteaux détenus principalement par de grands groupes de luxe, des chais modernes ultra équipés, voire aseptisés, Parker et d’autres dégustateurs qui façonnent le goût de Bordeaux depuis quelque années répondant ainsi à des stratégies marketing bien huilées et satisfaisant la période stressante des primeurs… Bref, Bordeaux a perdu un peu de son identité mais toutes les propriétés ne sont pas comme celaje vous rassure… Et puis même si c’était le cas, les grands groupes qui pensent chiffres d’affaires ont entre leurs mains un patrimoine… Vive le Made in France et ce concept qui fait rêver : le savoir-faire et le faire-valoir français. Il faut bien avouer que c’est bon, alors que demande le peuple ? Des prix plus abordables peut-être, une ouverture d’esprit et ne pas oublier d’où l’on vient pour mieux savoir où l’on va ? Et toutes les propriétés ne sont pas concernées : je retrouve la même passion du vin dans tous les chais. Le goût de Bordeaux, c’est quoi ? Un vin coloré, rouge vif, rubis, grenat pour les rouges, jaune paille, doré, topaze pour les blancs. C’est un vin équilibré entre fruit et boisé. Un vin qui a du corps, du volume, des tanins. C’est une boisson nourriture qui donne faim et satisfait votre soif. C’est de la dentelle sur une robe de taffetas, c’est un vin puissant, complexe avec un caractère propre à chaque propriété… Le goût de Bordeaux c’est avant tout un goût. On aime ou pas, mais on ne peut pas nier que les vins sont tous différents, ils ont tous leur identité et même si une certaine trame se retrouve en eux, on a de quoi satisfaire sa curiosité et son envie de nouveauté à chaque fois que l’on goûte un nouveau cru (et par cru, je ne parle pas uniquement de ceux qui sont classés). Les vins de la région peuvent être bus jeunes, ils ont un bon degré d’alcool (qui ne fait qu’augmenter au fil des années, on tourne autour des 13,5/14° pour les rouges et on n’est pas loin pour les vins blancs), ils valent aussi d’être dégustés plus vieux si on a la patience d’attendre entre 7 et 10 ans et puis ils se boivent seuls (cela dépend des appellations quand même) ou accompagnés. Les accords mets/vins sont nombreux et riches ! Charcuterie, fromages, viandes rouges grillées sur sarments, gibiers, gâteaux au chocolat pour les rouges (et vous comprenez bien que c’est une mini mini mini liste). Poisson, huîtres du Bassin, poulet, foie gras, fromage de chèvre, salade de fruits, cannelés pour les blancs. Bref un régal !
Puis, de l’autre côté du ring, nous avons la Bourgogne. Région viticole ancestrale comme Bordeaux, le vigneron est paysan, il a les mains sales et la partie commerciale est pour lui une corvée plus qu’autre chose. Les caves sont confidentielles, petites et semblent parfois figées dans le temps. Il y a une atmosphère, celle qui vous dit que vous entrez sur des terres chargées d’histoire et que le vin coule dans ses veines. Robert Parker est une personne non grata à Dijon en particulier, les dégustateurs n’ont qu’à bien se tenir : personne ne dicte au vigneron comment faire son vin. La Bourgogne, c’est une certaine force… Bordeaux qui a toujours été en opposition avec l’autorité se trouve bien petite face à la Bourgogne qui campe droite dans ses bottes dans son terroir… La couleur du vin est claire, limpide et brillante. Rouge, grenat, tuilée pour les plus vieux rouges, jaune paille, dorée pour les blancs. Il y a une droiture, pas de place aux fioritures. Le fruit, le fruit et le fruit sont les arômes recherchés. Le but du vigneron est de tirer, grâce aux innovations et aux expériences qu’il mène en secret dans sa cave, le meilleur du fruit, l’expression la plus pure de son cépage grâce au terroir. Un peu comme un sachet de thé : la vigne est le théier et l’eau le terroir. Il infuse, diffuse pour extraire un maximum d’arômes. Mais le Bourgogne ce n’est pas du thé, hein ! Les vins sont extrêmement fins, ronds, agréables, sans tannins, ils glissent dans votre gosier. Parfaits seuls ou avec un accord met/vin, ils sont à boire jeunes pour un fruité frais mais peuvent aussi se déguster dans la fleur de l’âge. C’est à ce moment là que le terroir va développer toute sa magie : chaque vin est unique même si le cépage est le même pour tous.
Voilà donc les deux conceptions du vin. D’un côté la puissance et la complexité avec Bordeaux, de l’autre côté la rondeur et la finesse des Bourgognes. Il y en a pour tous les goûts !
Pourquoi cette guerre ? Vous l’avez compris, les différences entre Bordeaux et la Bourgogne sont diverses. Il est donc évident que comparer deux régions, deux conceptions, deux vins est extrêmement difficile et c’est donc votre goût qui vous guidera vers votre préférence au final. On ne peut pas juger de la qualité de ces régions en fonction du type contenant, de la dénomination Clos/Château, du classement ou autre…
Personnellement, je préfère les vins de Bordeaux. Imaginez un corps : un squelette avec de la chair, des formes, des couleurs. La comparaison peut paraître un peu étrange par écrit mais quand je goûte un Bordeaux, il y a cette structure qui représente le squelette et il y a en plus le fruité, le boisé qui apporte du volume, qui est la chair. Le Bourgogne représente la pureté d’un cépage, plus austère, plus maigre. Mais cette impression ne regarde que moi. J’apprécie les vins de Bourgogne mais je préfère les vins de Bordeaux. Ce n’est pas une question de qualité, juste de goût !