Jeu de jambes, carton rouge !

‘Oh il a de la cuisse ce vin dis donc ! Et tu as vu ? Il a de belles jambes !! Il doit être très très bon !’

Allez stop, on arrête de parler gambettes à tout bout de champ et on essaye de comprendre ce que l’on dit ! C’est l’article coup de gueule du moment… Il en fallait bien un et bien voilà, je l’ai pondu !

Aujourd’hui, il y a une démocratisation de la gastronomie grâce à de fameuses émissions concouresques au petit écran, grâce à des chefs stars qui collectionnent les étoiles et les photos dans les magazines people, grâce à des myriades de livres gourmands sur tout et n’importe quoi, etc… Tout ça c’est très bien ! C’est très joli mais est-ce que ça sert vraiment notre profession des métiers de bouche ? Je me pose la question et je vous pose la question…

On sent la colère qui gronde chez certaines toques en ce moment : il faut dire que ça n’arrête pas de flasher dans leurs salles de restaurants, attention aux épileptiques, bienvenue aux stroboscopes, sortez les lunettes noires ! En effet, qui peut se targuer de ne pas vouloir se venter d’être aller chez Bocuse ou chez Michalak Master Class ? Avec une addition à deux zéros minimum, on a bien le droit de mettre sur les réseaux sociaux qu’on y était et aussi de faire une petite photo souvenir non ? Je like, je twitte, pouce vert… Mais les gens y vont pourquoi chez ces virtuoses de la meringue et de la girolle cuite à l’étouffée ? Pour dire qu’ils y étaient comme s’ils achetaient le dernier LV afin de faire comme les autres ? Ou vraiment pour l’amour de la cuisine, des produits du terroir travaillés et de l’effort récompensé ? 

Jolie photo avec reflet dans le verre

Je me demande… Car aujourd’hui on voit des consommateurs amateurs qui pourraient être des critiques du Guide Michelin… Téléphone dernier cri à la main droite, fourchette dans la gauche, papilles aux aguets, verbes acerbes parfois, critiques élogieuses souvent… Mais si cette démocratisation fait de l’unique quelque chose de banal, est-ce bien raisonnable ? Vous me direz que certaines cuisines restent élitistes. Ce n’est pas faux ! Mais toutes les semaines, le chef Piège s’invite dans votre salon ! Et si la papillote de veau a remplacé le nuggets à la cantine de votre chérubin, il n’y est pas pour rien et c’est très bien. Mais cette surmédiatisation n’enlève-t’elle pas tout le charme de cette haute cuisine ? Elle est un art, universelle et subjective. Ne voit-on pas là ce que Andy Warhols dénonçait en son temps ? Une standardisation… Norbert est-il le nouveau Marcel Duchamp des fourneaux ? Il en a dans le froc, il nous cause avec ses punchlines du style ‘ça va décoller le slip’… Il ne manque plus que la pissotière. Et Etchebest qui se transforme en Valérie Damidot et refait votre hôtel restaurant à neuf ! Bref, la cuisine a fini sa phase romantique, nous voilà dans je ne sais quelle période mais en tout cas ça fuse et ça con-fuse ! 

Côté vin, je vois débarquer ces amateurs de cuisine, verres à la main et qui aspirent bruyamment l’air pour tenter de percer les mystères du breuvage… Vas-tu y arriver garçon ? Je sens la catastrophe venir et alors j’entends ‘Oh il a de la cuisse ce vin dis donc ! Et tu as vu ? Il a de belles jambes !! Il doit être très très bon !’… Je m’étouffe et j’avale limite de travers ! Cof cof ! Je re-tends alors l’oreille et même s’il n’y a rien de plus sourd que quelqu’un qui ne veut pas entendre, mon otite interne se réveille au son d’un charmant ‘on sent le fruit et un peu de bois, ils ont du rajouter des trucs dedans, des arômes. Et de ton côté ? Il est bon ce petit vin blanc ? Avec ça si tu finis pas diabétique ahah !’…

Ahah ! Moi c’est la moutarde que je sens me monter au nez ! Je n’ai rien contre les amateurs de vin. Bien au contraire, c’est toujours un plaisir de converser et d’échanger.  Donnant des cours, j’ai de la patience et j’aime transmettre ma passion. Mais qu’on ne vienne pas apprendre aux vieux singes à faire la grimace ! Je ne vais pas apprendre à mon architecte à faire son métier… Alors, on commence par arrêter d’acheter une bouteille à 25 euros parce qu’elle coute 25 euros ! Non, on l’achète, par pitié, pour une autre raison… Parce que si c’est une question de prix, faites une copie du ticket de caisse à vos amis, ça sera plus rapide. Ensuite on apprend le vocabulaire du vin, on essaye de comprendre le processus de dégustation, on tâtonne, on persévère. Enfin et surtout on reste humble devant ce que la nature nous offre, humble face à ces hommes et femmes qui ne sont pas devenus des chefs, des vignerons, des œnologues, des barmen en un coup de baguette magique, humble face aux produits car ils ont une histoire, ils sont plus qu’un prix ou qu’une mode… Soyons humbles face à ce qui est notre ‘exception française’ car personne ne fait mieux le croissant et le macaron que nous ! Gardons un peu de magie… Prenez des photos de tout et de rien mais ne racontez pas la fin du roman à ceux qui ne l’ont pas encore commencé ! Eteignez la télé et ouvrez le livre de recettes de votre grand mère…

Pour conclure, je ne pense pas que cette médiatisation serve entièrement nos métiers. Certains en sortiront un avantage. D’autres non. Mais jamais je n’irais voir Anne-Sophie Pic pour lui dire qu’elle fait mal son métier car vous avez la technique mais vous avez aussi la créativité. C’est comme dans le vin… Il y a ceux qui sont doués et ceux qui ont les outils matériels pour réussir (ou presque). Alors le coup de gueule du jour c’était juste pour dire de ne pas transformer les métiers de bouche en métiers sans âme… Que la magie soit conservée même si cela veut dire que l’on doit garder quelques secrets… Car pour vivre heureux, vivons cachés. Echangeons, partageons, transmettons mais il y a la manière de faire… 

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